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Le premier ministre libanais au Figaro: «Le Liban a tous les moyens de sa résurrection!»
Monday, Sep 18, 2023

Le Figaro - Par Renaud Girard

ENTRETIEN EXCLUSIF - Najib Mikati espère obtenir de la classe politique de son pays les réformes favorisant l’aide du FMI.


L’homme politique sunnite venu du monde des affaires Najib Mikati est premier ministre du Liban depuis septembre 2021. Depuis le départ du président Michel Aoun en octobre 2022, il est le seul à assurer le gouvernement du pays. Il a accordé cet entretien exclusif au Figaro avant de se rendre à l’Assemblée générale des Nations unies.

LE FIGARO.- Dans quelle situation se trouve la nation libanaise, que vous gouvernez depuis juillet 2021?

Najib MIKATI.- Le Liban a connu un appauvrissement d’une dureté incroyable à l’issue de la crise financière de 2019. En 2011, quand je suis devenu premier ministre pour la seconde fois (jusqu’en 2014), le taux de pauvreté était de loin inférieur à ce qu’il est aujourd’hui. Actuellement, nous avons 2 millions de personnes résidant sur le sol libanais qui sont dans une situation d’extrême pauvreté: 1 million de réfugiés syriens et 1 million de Libanais. Quand je parle d’extrême pauvreté, je parle de moins de 3 dollars par jour et par personne pour vivre, voire survivre! C’est une situation alarmante et déchirante.

Que s’est-il passé exactement en 2019?

Le gouvernement de l’époque a voulu introduire une taxe sur les communications téléphoniques, qui a provoqué de très vives manifestations. C’était la goutte qui a fait déborder le vase. Puis les émeutes dans la rue ont engendré des retraits massifs de devises auxquels les banques n’ont pas pu faire face, et le pays a fini par faire défaut sur sa dette. La livre libanaise a depuis perdu 98% de sa valeur. Pour les épargnants, cela représente une ruine que nous n’avions jamais connue dans notre histoire. Il y avait, au Liban, une classe moyenne supérieure qui vivait aisément, et des dépôts bancaires de plus de 130 milliards de dollars! Ces Libanais ont maintenant les plus grandes difficultés à assurer leurs fins de mois, même pour les produits de première nécessité. À cela s’ajoutent la fuite des cerveaux et le peu d’espoir que les jeunes ont dans l’avenir du pays.

Qui est responsable de cet effondrement économique? Est-ce l’ancien gouverneur de la banque centrale, Riad Salamé?

On me demande souvent de désigner des responsables ; pour moi, le principal responsable, c’est l’État, sans pour autant oublier la culture de la corruption, du gaspillage au sein de la fonction publique et le manque de réformes. Je vous donne un exemple: avant la crise, l’État a dépensé un total de 45 milliards de dollars de subventions sur l’électricité. C’était une attitude démagogique et irresponsable!

Qu’en est-il de la situation actuelle?

J’ai finalement réussi à faire adopter un projet de budget par le gouvernement, le 12 septembre dernier. Je tiens à préciser que c’est le premier depuis 2002 à avoir été présenté au Parlement dans les délais constitutionnels. J’appelle maintenant les députés à faire preuve de responsabilité en matière financière et à adopter ce budget. Dans tous les cas, une réforme profonde doit être amorcée.

Que voulez-vous dire par «responsabilité»?

Je vais vous donner un exemple qui illustre la situation: la discussion autour du «capital control» a débuté il y a quatre ans déjà. Ce n’est que le mois dernier que les députés ont été invités au Parlement afin d’adopter une loi de «contrôle des capitaux». Hélas, le quorum nécessaire de 65 députés n’a pas été atteint, alors qu’il s’agit d’un texte prioritaire pour améliorer la situation financière du Liban. Je suis désolé de voir presque tout le monde exiger des réformes mais, quand on les propose, peu sont au rendez-vous.

Qui s’est opposé à vous? Le Hezbollah?

Sur les questions de réformes économique et financière, le Hezbollah se montre favorable. Mais certaines factions de l’opposition avancent l’argument qu’il faut commencer par élire un président avant de voter les lois ; à leurs yeux, le Parlement est un collège électoral qui n’est pas en mesure de légiférer dans cette situation. Je leur ai répondu de se mettre d’accord entre eux et d’en élire un rapidement! Nous ne pouvons plus retarder les réformes à cause de désaccords internes.

En quoi ces réformes sont-elles importantes?

Ces réformes sont cruciales. Car une fois que les lois seront votées et l’accord avec le FMI signé, la confiance envers le Liban reviendra graduellement, et le pays sera de nouveau une place financière. Le paquet d’aides de 11 milliards de dollars, négocié lors de la conférence du Cèdre à Paris, pourra être réactivé, rassurant les investisseurs afin qu’ils reconsidèrent les opportunités au Liban. Ils trouveront alors un pays où les entrepreneurs sont prêts à collaborer et ont déjà commencé à améliorer la situation. Le Liban a tous les moyens de sa résurrection, il ne tient qu’à sa classe politique de le permettre. L’État existe et pourrait parfaitement bien fonctionner: depuis le départ du président Aoun, j’ai signé pas moins de 1400 décrets! Un autre aspect rassurant reste que les Libanais - jeunes et moins jeunes - sont instruits, brillants et compétitifs à l’échelle nationale et internationale.

Dans le monde entier, les Libanais réussissent extrêmement bien dans les affaires. Pourquoi ne parviennent-ils pas à créer un État qui fonctionne?

Les Libanais sont fortement capables à titre individuel et ils ont le sens aigu du devoir et des valeurs, mais lorsqu’il s’agit de joindre leurs forces et talents dans le cadre d’une structure étatique performante, le défi devient plus grand.

Cette semaine vous serez à New York, pour parler devant l’Assemblée générale des Nations unies. Quel sera votre message?

Je demanderai à la communauté internationale et aux pays donateurs d’aider mon pays, sur plusieurs plans. Tout d’abord, je demanderai aux puissances mondiales d’user de leur influence pour convaincre les différents courants libanais d’élire enfin un président.

Le président à venir, quel profil doit-il avoir?

Un profil conforme à la Constitution. C’est-à-dire qu’il doit être accepté par tous les partis, se placer au-dessus de la mêlée et agir en arbitre. Mais aussi un président qui aurait une vision, du leadership et un esprit d’équipe, pour pouvoir œuvrer en étroite collaboration avec le gouvernement à la résolution des problèmes et à l’édification de la nation.

Le Hezbollah soutenait la candidature de Sleiman Frangié, qui a été rejetée par les députés. Était-il un bon candidat selon vous, malgré sa proximité avec les régimes iranien et syrien?

Je n’ai pas l’intention de m’immiscer dans l’élection présidentielle, mais il ne serait pas logique, voire raisonnable, d’élire un président qui antagoniserait le Hezbollah. Car il est l’un des principaux partis de la communauté chiite, qui représente presque un tiers de la population du pays. Le peuple libanais n’a pas de problème avec la dimension politique du Hezbollah. Par contre, leurs appareils paramilitaires et sécuritaires, associés à leur rôle régional, sont progressivement devenus un sujet de polarisation, voire de division, et une source de crainte pour de nombreux Libanais.

Quel sera votre second message à destination de la communauté internationale?

Je lui demanderai de nous soutenir face à la crise migratoire. Nous hébergeons déjà plus de 1 million de réfugiés syriens, et des centaines de migrants supplémentaires arrivent chaque jour au Liban et bouleversent l’équilibre économique, démographique et confessionnel du pays. Ils disent venir au Liban en transit vers l’Europe, il faut donc que l’Europe nous aide à traiter cette question avec le gouvernement syrien.

L’accueil des migrants au Liban, fourni par le Haut-Commissariat des Nations unies aux réfugiés (l’UNHCR), a le défaut de constituer une incitation financière forte à l’immigration illégale, sans traiter le problème à la source. Il faudrait que l’UNHCR négocie directement avec les autorités syriennes. Les Européens ont tout intérêt à nous aider à traiter ce problème, au vu du fort accroissement du trafic d’êtres humains vers Chypre ou d’autres destinations. La menace d’une nouvelle invasion migratoire en Europe est réelle, ce qui entraîne également un impératif de sécurité.

J’imagine que votre troisième message concerne la frontière du Liban avec Israël…

Nous avons des différends territoriaux dans la délimitation de la frontière avec Israël. Nous avons besoin que les Nations unies nous aident à délimiter une frontière terrestre claire, comme nous avons réussi à le faire avec la frontière maritime. C’est dans l’intérêt des Nations unies de nous aider à résoudre ce problème, qui permettrait de renforcer la sécurité au Sud-Liban et de progressivement retirer les soldats de la Finul, à l’origine «intérimaire», mais en réalité présente depuis 1978. Mon troisième message concerne également l’aide requise de la communauté internationale et des pays donateurs pour pouvoir faire face à notre grave crise socio-économique et financière.

Six États arabes ont déjà reconnu Israël, dont deux de ses voisins, l’Égypte et la Jordanie. Vous, qui êtes aussi un pays voisin, pourquoi ne le reconnaissez-vous pas?

Une initiative de paix a été proposée à Israël en 2002 à Beyrouth par les pays arabes réunis. Si des négociations s’engagent sur cette base entre Israël et la Ligue arabe, nous serons ouverts à la discussion, sachant que le Liban a déjà un accord d’armistice avec Israël. Je suis un homme pragmatique et nous avons besoin de paix, de stabilité et de prospérité dans la région. Je serais prêt à considérer les initiatives de paix qui permettraient l’essor du Liban et préserveraient nos causes nobles et nos droits légitimes, dans le respect des résolutions du Conseil de sécurité, bien sûr.

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